─ Sylphorn, c’est ça ?

─ Je peux t’aider, peut-être ?

Cela faisait deux ans que notre homme du froid s'était échoué à Lumia. Une phrase bien courante, vous en conviendrez, mais intéressante car l'expérience qu'avait le guerrier de Lumia était donc de deux ans. En deux années en pleine immersion, sa maîtrise du langage local s'était affûté pour donner naissance à une tenue de discours simple mais compréhensible doublée d'un fort accent rappelant -ou reflétant- l'esprit parfois bourru des hommes des terres glacées. Votre narrateur utilise bien le terme reflétant et le préfère à son cousin rappelant car ce dernier implique la notion de mémoire, donc de vécu, or, personne à Lumia ne savait réellement à quoi pouvait ressembler les intonations barbares d'un langage nordique. J'enchaîne en approfondissant la condition qu'un tel être devait revêtir, celle d'un homme attaché à une culture dans laquelle soi moi intérieur ne se retrouve pas forcément, une culture basée sur l'ordre d'une armée elle-même basée sur une hiérarchie laissant peut de place à l'honneur et à la prouesse.

Mais, bien inconscient de son passé et de son ancien statut social, Sylphorn avait mis en application cette rage structurée et appliquée que l'on retrouvait dans le coup de marteau du forgeron ayant fabriqué ses armes quelque part dans le monde à profit de l'armée qui l'avait accueillie. Chacun connaissait Sylphorn, le respectait, le traitait comme un frère, et ce que ce soit chez n'importe quel soldat. Tout comme chez lui dans le Grand Nord, Sylphorn faisait preuve de fraternité et faisait jouer ses talents multiples, que ce soit pour le combat ou encore la navigation. Et c'est cet esprit qui mena Sylphorn à m'éminent Quartier des Oracles.

Armé, comme à son habitude, c'est à dire bouclier et épée dans le dos, Sylphorn cherchait un supérieur. L'heure à laquelle il arriva était peu propice à lui présenter un Oracle afin qu'il considère le projet qu'il voulait soumettre. Et puis, au détour d'un couloir...

-Selv... Lui-même.

Son mystérieux langage ressortait lorsque l'attention n'était pas complètement au rendez-vous. Il considéra l'Oracle à qui il venait de répondre machinalement, un homme forcément plus petit, mais supérieur dans l'échelle militaire. Conscient qu'il risquait en ce moment même sa tête, il continua sur un ton chaleureux et vierge d’agressivité.

-Oui, je cherche un homme pour dominer la mer.

─ Dominer la mer ? Pourquoi ça ?

─ Si c’est pour explorer d’autres terres, sache que le Conseil est en train d’en débattre. D’ailleurs, je crois qu’une réunion se tiendra bientôt à ce propos.

Réponses au tac-au-tac, signe d'une certaine rigueur militaire, mais signe également que l'Oracle qui se tenait là n'était pas du genre à se laisser bercer par la vie, au contraire, il apparaissait comme étant un membre actif au sein de Lumia. Ce dernier point n'allait pas sans plaire à l'ours. Combien de flemmards y avait-il dans les rangs Lumiens ? Beaucoup trop. La simple énonciation d'hommes capables de rester des heures à contempler le temps qui passe en étant pleinement conscients que les copains se donnaient à fond pour que la boulangère du coin n'ait pas peur de ne jamais revoir sa fille partie à la campagne retrouver sa tante pendant ce temps-là mettait Sylphorn de mauvais poil. Il passa les doigts dans sa barbe couleur de nuit et invita l'Oracle à marcher d'un geste de main.

-Il serait préférable de ne pas rester le ventre vide.

Les questions de son supérieur avaient suscité chez le Nordique une envie certaine d'argumenter en mettant en contraste son cas et l'armée de Lumia. Tout le monde savait qu'il venait de loin, mais personne ne savait exactement d'où, pas même lui. Pourtant, certaines choses étaient restées profondément ancrées dans l'esprit du barbu; nous ne parlons pas de souvenirs nets voire flous, mais bien de certaines notions importantes à ces yeux. Le combat était le premier exemple et n'avait rien à faire dans cette discussion. La navigation et les techniques qui s'y rapprochent, elles, avaient leur importance, ici.

-Je ne sais pas comment le dire, mais... j'ai l'impression de savoir qu'il faut un jour prendre la mer et braver l'inconnu. A vrai dire, je ne viens pas discuter la décision du Conseil. Je propose de mettre mes connaissances de marin à disposition de la Nation.

Le ton penseur du barbare était signe qu'il menait à ce moment-là une sorte de double-réflexion, une au dehors, et une au dedans.

-Au fait, avez-vous une troupe bien précise sous vos ordres ?